k-bulletin nr.3 <kollektive/arbeit>
INFOManualSHOPPRINTARCHIVE
Syndicat potentiel
Essai de définition générale

Le syndicat potentiel est un regroupement de singularités quelconques. De telles singularités peuvent être “artistes” ou “universitaires”, femme ou homme, mais secondairement. Prioritairement, une singularité quelconque est une identité paradoxale, ni générale, ni individuelle, se constituant comme lien, comme espace de rapport. Cela peut signifier être “entre” une identité et une autre : entre chômage et emploi, entre une nationalité et une autre, entre art et université, cela peut être mis en œuvre par une commutation de disciplines, de pratiques, de formes de vie. Mais s‘entendre soi-même comme singularité quelconque cela signifie d‘abord, fonctionner au moins sur deux niveaux : la potentialisation et l‘actualisation, l'actuel masquant, pour ainsi dire, le potentiel, toute actualisation cachant des latences, des potentialités. L‘actualisation n‘étant jamais que le résidu de soi qui se définit essentiellement comme potentiel. Cependant les singularités quelconques du syndicat potentiel sont caractérisées par un trait commun : elles produisent aux moyens d‘instruments intellectuels, de contenus culturels ou informatifs. Et ces productions immatérielles sont effectuées de façon indépendante ou coopérative. Un syndicat potentiel est donc un regroupement de potentialités singulières produisant au moyen d‘instruments intellectuels ou de contenus culturels ou informatifs des espaces communs de résistance aux formes de domination, d‘expérimentation et d‘élaboration de socialités potentielles, de savoirs, de pratiques artistiques, politiques, scientifiques et relationnelles.
Une production immatérielle et la condition sociale des producteurs de l‘immatériel sont par elles-mêmes potentielles : les frontières du champ artistique sont par exemple difficiles à déterminer. Au sens restreint, elles englobent les créateurs (plasticiens, photographes, réalisateurs, écrivains, etc.), les artistes interprètes et les techniciens du spectacle, ainsi que l‘animation culturelle et l‘artisanat d‘art (fabrication de vêtements sur mesure, céramique, vannerie, etc.). Au sens large, elles peuvent inclure d‘une façon ou d‘une autre des secteurs d‘activité comme la publicité, la presse, les multimédias, le journalisme, l‘architecture, le tourisme, l‘enseignement, l‘artisanat. Cette indétermination des limites de la pratique artistique ouvre la potentialité d‘une appropriation de cette pratique par toute personne qui le souhaite (et il n‘y a aucun laxisme à le déclarer). Les parentés de conditions économiques et sociales entre nombre de personnes se déclarant artistes mais ne parvenant pas à vivre de leur travail, et nombre de personnes sorties de l‘université (dont les titres ne leur permettent souvent l‘accès à aucun emploi) invitent à réfléchir sur les mesures susceptibles d‘améliorer leur situation. Il se trouve en effet, que de nombreux artistes et chercheurs sont au RMI ou occupent des postes plus ou moins précaires dans la fonction publique ou dans le secteur privé. Leur condition rejoint de ce fait celle des chômeurs, précaires, temporaires, indépendants.
De quelle façon peuvent s‘organiser et perdurer économiquement des singularités quelconques, c‘est-à-dire des singularités ne s‘effectuant pas prioritairement comme “artiste”, comme “universitaires” ou comme “salarié”, etc. ?
L‘instauration d‘un revenu garanti permet le passage des droits du salarié aux droits de la personne et offre les conditions d‘apparition d‘une société dont on se fait citoyen par toutes les formes d'activités qui créent du lien, du sens, de la réciprocité, de l'autonomie et de l'épanouissement. Dans une telle société, la valeur d‘échange cesse d‘être la mesure de la valeur d‘usage.
Ulrich Beck (Ulrich Beck, Schöne neue Arbeitswelt. Vision : Weltbürgergesellschaft, Campus Verlag, Frankfurt/M., 1999) préconise qu'un "revenu de citoyenneté" soit garanti à toute personne qui s'engage volontairement dans une "activité citoyenne" auto-organisée et autodéterminée dans ses modalités et ses contenus. Les "activités citoyennes" relèvent de la "spontanéité organisée", de "l'insubordination créatrice", refusant la réglementation et les hiérarchies, et faisant ainsi contrepoids au manque d'imagination des pouvoirs établis et des bureaucraties. Son opérativité s‘appuie sur la capacité des "entrepreneurs d'intérêt public" à mobiliser des volontaires pour les projets qu'ils proposent de mener à bien.
Ces "activités citoyennes" ne devraient pas être réglementée, normalisée ou prédéterminée par les Commissions qui auraient à les valider ou à les légitimer. Aucune autorité ou administration, aucun groupement d'intérêt ou corps constitué ne devrait avoir de pouvoir de contrôle ou de veto. Un tel revenu doit donc être garanti de façon inconditionnel à toute personne sans ressources suffisantes : personnes expulsées du marché du travail, s‘en étant retirées volontairement ou n‘y étant pas encore entrées.

Le syndicat potentiel travaille actuellement sur plusieurs projets :
- la mise en place d‘un fonds d‘archives sur l‘Afrique et l‘Asie en collaboration avec la revue Histoire et Anthropologie. La mise en place d‘un tel fonds à Strasbourg débouchera sur des rencontres, des expositions.
- la mise en place d‘un journal sur le rapport au travail, le chômage, l‘activité informelle ou non rémunérée.
En créant de telles zones autonomes de constitution de compétences et de savoirs en dehors des structures privées ou publiques de formation de connaissance et de transmission du savoir (université), le syndicat potentiel s‘inscrit dans cette écologie de formations “civiles” de connaissances, de sens, de lien, de réciprocité et d‘autonomie. Il rejoint de cette façon l‘activité de tous ces autres réseaux inventant leurs propres laboratoires de recherches, ou leurs propres universités, collectant, analysant et synthétisant, constituant des données, des interprétations et des réinterprétations du monde, des méthodes spécifiques, une épistémologie spontanée, une épistémologie du général.
La visée théorique du syndicat potentielle, en créant un “centre de ressources”, un centre de recherches indépendant des institutions d‘art contemporain ou de l‘université, est d‘ouvrir à des pratiques interdisciplinaires, mises en œuvre par la co-opération. Chacun présente alors ses propres activités, les donnes à connaître à autrui. Cette coopération peut aller jusqu‘à former des projets à disciplines multiples articulées autour d‘un objet ou d‘un projet partagés par chacun. Chaque discipline vient alors résoudre en fonction de ses compétences propres une partie du projet. Ainsi viennent s‘articuler de multiples niveaux de réalités. Que les artistes s‘intéressent à des questions qui soient hors de leurs disciplines, et inversement, que des universitaires s‘intéressent à des modes de pensées et à des approches ayant cours en art ou chez les artistes, est un premier pas vers une redéfinition de la société en générale.

home / info / manual /shop / print / archive / links / impressum