k-bulletin nr.3 <kollektive/arbeit>
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Échange sexuel dans le contexte du travail

Le point de départ de nos réflexions sur la notion de travail a été d'observer dans quelle situation de travail nous nous trouvons nous-mêmes; nous partageons notre temps entre diverses activités: p. ex. prendre soin de notre vie communautaire, s'occuper de l'enfant d'une de nos amies, faire un job pour gagner de l'argent, passer à l'office du chômage, s'engager dans un projet dans une institution où il n'y a pas un grand salaire, mais la possibilité de réaliser quelque chose qui nous intéresse, travailler aussi dans un groupe politique, pour lequel il est peut-être parfois difficile de maintenir sa motivation, entre autres à cause du peu de reconnaissance sociale, due au fait qu'on ne peut par exemple pas vraiment crier sur les toits ce sur quoi on travaille.
Même si c'est un mode de vie qui n'est pas saisissable par des notions comme le "travail" et le "temps-libre", en tant que sujets menant cette vie, nous ne sommes malgré cela pas débarrassés des valorisations sociales existantes. Pour cette raison, nous sommes intéressées à la façon dont ces diverses valorisations jouent un rôle dans les différents choix qu'on fait (lorsqu'on a la possibilité de faire des choix!), et comment cela influence notre propre relation à nos multiples occupations.

Nous nous intéressons donc à une perspective sur le travail en tant que situation de vie: la place de travail est un lieu dans lequel les personnes passent une partie non-négligeable de leur existence et qui contribue à définir d'une manière décisive leur propre sentiment d'elles-mêmes, au travers des peurs, du ras-le-bol, des humiliations ou des confirmations. C'est un endroit où on ne peut pas s'empêcher d'établir des relations avec des autres, comme nos chefs, collègues ou clients. On est constamment confronté(e) à des exigences que l'on peut plus ou moins bien assumer, contre lesquelles on doit développer peut-être aussi des stratégies de refus. Il est clair que dans cette approche les changements de mode de production, les nouvelles machines ou les moins bons contrats de travail jouent un rôle, mais sous l'angle de comment les évaluations, le hiérarchies et le déroulement du travail qui en découlent se répercutent dans la compréhension et dans les voeux des travailleurs/(euses).
Nous comprenons ce regard sur le travail aussi comme une intervention dans les débats actuels sur le travail, comme une invitation à discuter des questions fondamentales de la notion du travail et des relations de travail concrètes, à ne pas simplement remplacer par un débat sur la quantité des emplois. Nous nous intéressons à la façon dont le travail est partagé, à ce que cela signifie pour une personne d'avoir du travail ou de ne pas en avoir, et à quel effet un travail ou un autre produit sur le statut de la personne qui l'accomplit.
Dans notre livre "Falsifier les comptes de la reproduction!*, nous avons voulu examiner à partir de ces différents aspects comment naissent la définition sociale du travail et la division sociale du travail.

D'autre part nous sommes parties de l'observation que, dans beaucoup de débats actuels, il y a une opinion qui commence à s'imposer, qui est que le genre ne joue plus un si grand rôle dans les relations de travail, étant donné que les images de la masculinité et de la féminité se sont transformées. Il nous semble que malgré les images de "mères" masculines et de managers féminins, et malgré les programmes d'égalité, la hiérarchie de genre dans le contexte du travail ne s'est pas vraiment transformée, la division du travail spécifique au genre se maintient. Le genre, comme nous allons essayer de le montrer, n'est pas simplement adressé et utilisé, mais est aussi produit par les divers échanges dans le domaine du travail. Nous nous intéressons donc au travail en tant que "gender factory", en tant qu'usine de production du genre.

Le musée du travail de Hambourg

Tout d'abord nous aimerions présenter deux stratégies féministes exemplaires/classiques de critique de la division du travail à travers l'exemple du musée du travail de Hambourg. Au troisième étage, consacré spécialement au thème "femmes et hommes - mondes du travail et images" se trouve une installation, qui présente des places de travail dans une usine de poisson locale. Dans la brochure d'information du musée est écrit à ce sujet: "le vidage, l'extraction des arrêtes, le triage, la préparation et l'emballage des poissons, c'est le travail des femmes. Le transport, l'arrangement, le stockage, et enfumer les poissons, par contre c'est du travail d'hommes." A travers cette installation, où sont mis en scène les différentes phases du travail, les organisatrices font une critique visuelle de ce qu'on appelle le "sextyping" - c'est-à-dire la répartition du travail en rôles spécifiques au genre. Cela implique: les différences de rémunération du travail, des niveaux de qualification, mais aussi l'attribution selon le genre de traits de caractère ou de traits descriptifs, - d'une manière essentialiste - comme "les mains des femmes sont plus agiles et plus petites", ou comme constructions sociales: " le noyau de leur vie sociale se trouve en dehors de leur travail salarié, c'est pour cela qu'elles se contentent d'avantage que les hommes d'un travail salarié monotone et pas reconnu".
A travers ce mode de représentation, il s'agit de critiquer la spécificité des places de travail par rapport au genre en tant qu'idéologie. Cette idéologie légitime qu'on attribue une sorte d'"aptitude" pour ce genre de travail où il faut emballer jusqu'à 7000 harengs à l'heure. La stratégie politique qui est ici tentée, est de critiquer la division du travail spécifiquement au sexe, des domaines purement féminins et masculins, en dénaturalisant cette répartition des rôles. On retrouve ces revendications dans les démarches pour l'égalité des chances, et pour l'égalisation des salaires.

Dans l'autre partie de la salle se trouve une seconde installation, qui aborde un domaine féminin traditionnel par un autre angle d'attaque: dans différentes vitrines la place de travail-enfant est inventée, et présentée à travers divers objets ou instruments de travail. On y trouve aussi des objets pour l'aide dans les devoirs d'école, ou l'évaluation des notes. Il y a par exemple à coté d'un poème pour la fête des mères, une brochure de la ville de Hambourg, qui donne des informations sur les allocations-enfants et sur les congés parentaux. On peut voir un costume pour un petit enfant contre la névrite cutanée, qui indique le traitement à domicile d'une longue maladie. Une affiche qui porte le titre: "nous résistons" provient de l'époque où il y avait une grande activité contre les usines nucléaires, lors de laquelle des mères entre autres se sont organisées. Sur un extrait bancaire une mère félicite sa fille pour ses 29 ans et lui verse un acompte pour un voyage.


Il ne s'agit ici pas de simplement reproduire ce domaine de travail comme uniquement féminin: dans une partie de l'installation on entend p. ex. un père éduquant ses enfants seul et employé à mi-temps, qui décrit le cours de sa journée de travail quotidienne.

Cette stratégie féministe prend en compte les multiples et exigeantes demandes qui sont liées à l'éducation des enfants, et met en évidence que la prise en charge d'un enfant est du travail. Elle attaque la valeur sociale habituelle qu'a ce travail, et la hiérarchisation du savoir, selon laquelle le travail ménager et l'éducation des enfants ne requièrent qu'une forme de "connaissance du quotidien", que les femmes sont censées de toutes façons posséder naturellement. C'est une perspective différente de celle de l'usine de poisson: la proposition de représenter la charge des enfants comme une place de travail, et par là d'en effectuer une revalorisation en tant que lieu social, fait appel à une tradition féministe qui critique les relations à la maison comme naturelles et les définit comme un travail avec des exigences et des contraintes qui sont comparables à celles qui existent dans le travail salarié classique.

Les stratégies politiques qui sont à la base de ces deux formes de représentation dans le musée du travail, sont d'une certaine façon contraires: dans l'usine à poisson on a critiqué le fait que les qualités requises sont codées socialement comme féminines, et on a argumenté contre les différents systèmes de valeur et d'attribution des rôles. Par contre dans le cas de la place de travail/enfant, on a mis en évidence justement les qualités requises pour être une "bonne mère", pour élever cette activité au rang d'un travail.
le travail & le chez soi

Si on lit ces deux parties exposées l'une à côté de l'autre dans le musée comme une comparaison entre le domaine vital de la "place de travail" et de celui du chez soi, on pourrait reprocher à cette installation de reproduire la séparation classique des sphères "maison" et "place de travail": La maison est pourvue d'émotions et de subjectivité, par contre sur la place de travail il y a des règles strictes et un déroulement du travail formalisé.

Dans notre livre nous avons tenté de contredire cette opposition entre la maison et la place de travail, l'hypothèse que le travail est une contrainte et que les loisirs sont liberté. Au lieu de cela notre démarche a été de prendre en compte que c'est cette compréhension dualistique elle-même qui produit la définition sociale du travail.

Le texte "au travail chez soi" de Arlie Hochschild pratique une description intéressante pour relever le problème que les interactions entre la maison et la place de travail ne sont pas faciles à saisir, aussi longtemps que dans un des domaines on parle de salaire et que dans l'autre on parle d'amour. Elle a fait une enquête dans une entreprise U.S. américaine parmi des employés de différentes classes de jobs qui décrivent leur place de travail comme un lieu social plus attrayant que leur domicile. Les employés s'exposent à la pression de longues journées de travail, tout en déclarant désirer plus de temps pour la vie privée et la famille, ce qui par différentes réformes leur serait offert par l'entreprise comme option, mais dont ils ne se servent pas. En recherchant les raisons de cette situation paradoxale, Hochschild force une confrontation conceptuelle entre le chez-soi et le lieu de travail, en posant des questions aux employé(e)s telles que: "est-ce que vous avez de temps en temps le sentiment que votre domicile est comme une place de travail?", ou bien: "où avez-vous la plupart de vos amis?" ou alors: "avez-vous le sentiment que vous pouvez d'avantage compter sur vos relations ou sur votre situation de vie sur votre lieu de travail ou à la maison?"
Les résultats de son étude débouchent sur la thèse étonnante qu'il y a une sorte de renversement des sphères: la place de travail est en train de devenir la maison et la maison est en train de devenir la place de travail. Par exemple elle fait une comparaison entre les taux de divorce à la maison et ceux au travail (c'est-à-dire la fréquence d'un changement ou d'une perte de travail), et démontre qu'un job n'est peut-être pas un endroit garanti dans la vie d'un sujet, mais que la maison l'est encore moins. Elle écrit "on peut aussi être touché par la rationalisation à la maison".
Le vocabulaire qu'elle utilise dans son texte pour décrire la place de travail et ses caractéristiques est emprunté du langage utilisé habituellement pour la vie domicile, et la vie domicile par contre apparaît comme un job aliénant et pas attirant.

moi comme force de travail

De retour au musée du travail: dans la stratégie de revalorisation de la place de travail-enfant, nous pouvons remarquer quelque chose d'autre encore: parmi les tâches indispensables de l'éducation, sont plutôt mentionnées celles auxquelles on attribue beaucoup de valeur, parce qu'elles demandent l'intervention individuelle de qualités intellectuelles et sociales en grande partie. Parce que ce travail doit être présenté comme un travail "qualifié", on a renoncé à montrer les tâches répétitives et ennuyeuses qui font aussi partie de ce travail. En comparaison aux 7000 harengs de l'usine à poissons il n'y a pas de réflexion sur la représentation des mètres carré de lessive qui sont à faire chaque jour. L'installation veut d'avantage illustrer que le travail d'éducation peut tout-à-fait correspondre aux normes sociales de travail "précieux", dans la mesure où il est exigeant et complexe.
Cette stratégie de valorisation procure aux sujets qui font ce travail une forme de stimulation, mais aussi la contrainte d'être une meilleure mère, lorsqu'elles augmentent leur propre engagement, élargissent leur connaissances, améliorent leur capacités sociales ou investissent d'avantage émotionellement. C'est à elles de décider si elles veulent le faire ou non, mais de l'extérieur cela va leur apporter une plus ou moins grande reconnaissance. C'est la responsabilité d'une personne à laquelle on fait appel (sois une bonne mère!), et dans ce cas sans même qu'il y ait un ou une employeur qui la contrôle directement. Pour une analyse de ces conditions de travail, dans lesquelles les employés ne suivent pas seulement des règles prescrites rigides, mais suivent aussi leur propre intérêt, on doit se baser sur une théorie du pouvoir qui le comprend pas seulement comme quelque chose de négatif et de répressif, mais aussi de manière régulatrice, comme stimulant le désir des sujets.

Maintenant il est important de remarquer que les qualités requises pour cette place de travail/enfant - être social, être communicatif et prévoyant - sont perçues comme le caractère propre de l'individu, elles sont perçues comme sa subjectivité.
Pour illustrer par un autre exemple ce que l'intervention de la subjectivité dans une situation de travail implique, nous pourrions raconter le cas d'une amie à nous. Elle s'est présentée à un programme d'occupation dans un atelier de graphisme, envoyée par l'office du chômage. Elle ne voulait pas faire ce P.O., parce qu'elle avait beaucoup de travail, bien qu'elle soit au chômage. Elle s'est montrée distante et a témoigné de tellement de retenue par rapport à ce job que son interlocuteur à tout d'un coup changé de ton. Il lui a dit que ça le vexait qu'elle ne se rende pas du tout compte de son ouverture d'esprit pour ses intérêts. A ce moment la discussion a perdu son aspect formalisé et a pris un ton amical et privé, jusqu'à ce que le chef d'atelier lui fasse comprendre qu'il serait d'accord de faire un deal par rapport au conditions de travail imposées par le chômage. Ceci permettrait de faire coïncider les intérêts de notre amie, d'avoir un travail qu'elle définit elle-même, et pour lui l'intérêt de trouver une collaboratrice. C'est donc directement à la personnalité de notre amie qu'il s'est adressé. A ce moment pour notre amie ce n'était plus possible de jouer le rôle d'une candidate mal adaptée pour ce job, et peu intéressée. Elle a donc pris le risque de mettre les cartes sur la table, et lui a expliqué sa situation. C'est un exemple qui montre comment il est difficile de prendre une distance dans une situation de travail où c'est sa propre subjectivité qui est mise en jeu. On a par exemple une autre amie qui a essayé dans une situation de travail de s'opposer à ce qu'on mette au même niveau sa personne et sa force de travail. Elle a pris un travail de nettoyage dans un bureau chez des employeurs avec qui elle était auparavant amies. Une de ses "cheffes" lui a un jour annoncé avec beaucoup d'insistance qu'on lui avait acheté un nouvel aspirateur. Elle s'attendait à ce que son employée se réjouisse de cette nouvelle et reçoive l'aspirateur comme un cadeau personnel. Elles ont fini par se disputer, parce que notre amie ne voulait pas accepter l'arrogance de cette femme de ne pas la traiter en égale, mais de la reléguer à sa fonction de nettoyeuse en lui présentant le nouvel aspirateur comme un cadeau.

Si pour en revenir à nos deux exemples du musée de Hambourg, on fait maintenant la comparaison entre la place de travail/enfant et les conditions de travail de l'usine de poissons, où la valeur de la force de travail est mesurée seulement en fonction du rendement à l'heure, on peut constater que si, ou selon la manière dont la subjectivité est intégrée dans un processus travail, cela créera une hiérarchisation sur le marché du travail. Mais les qualités et les émotions d'une personne sont dans une très forte mesure spécifique au sexe. Quand il s'agit d'être une bonne mère, on exige des qualités qui sont socialement liées à la féminité. Alors qu'on attend des femmes qu'elles possèdent ces qualités, quand elles apparaissent chez les hommes, on les souligne particulièrement (il est si gentil avec les enfants, il a tellement bien fait la cuisine).

the managed heart

Arlie Russell Hochschild décrit dans son livre "The managed Heart" la façon dont laquelle les activités, qui sont caractéristiques d'une image "féminine" à la maison, sont de plus en plus demandées de manière informelle dans les professions des services, ou alors font carrément partie des conditions de travail formelles. Dans une enquête empirique faite auprès d'hôtesses de l'air, elle montre comment ces hôtesses, en plus du travail intellectuel et physique évident, effectuent encore une autre forme de travail. Pour le décrire, elle reprend la notion de "travail émotionnel", qui a joué un grand rôle dans les débats des années 70 dans les mouvements féministes, et qui à cet époque à été appliqué avant tout dans l'analyse du domaine de la maison. Leur travail implique plus que le sourire stéréotypique de l'hôtesse de l'air: elles doivent nouer une relation individuelle avec les clients, qui est directement liée à leur propre personnalité.
Elle fait ensuite une comparaison avec le secteur des encaissements de la même compagnie d'aviation, où les dettes des clients doivent être perçues, et alors c'est un comportement agressif qui est demandé des employés la plupart masculins. Hochschild démontre que la demande de subjectivité est structurée d'une manière complètement spécifique au genre, et que les hommes dans cette situation n'ont pas forcément d'avantage. Elle a par exemple trouvé des hommes qui ne pouvaient pas se plier aux exigences de comportement agressif.
En dehors de la catégorie du genre, nous pensons qu'il y a une autre catégorie sociale qui est étroitement liée au genre et qui a des effets sur les relations et les exigences au travail: c'est l'institution de l'hétérosexualité. Pour prendre en compte à la fois les paramètres du genre et de l'hétérosexualité, et leur intégration dans les procédés de travail - à la maison et à la place de travail - nous avons proposé dans l'introduction de notre livre la notion de "travail sexuel". Avec cette notion de "travail sexuel", nous voulons examiner les effets de l'institution "hétérosexualité" sur la division du travail, sur le comportement des gens, sur leur façon de s'habiller, de parler etc.
Nous avons voulu mettre en relation la sexualité, pratique tout aussi bien sexuelle que sociale, et le domaine de l'économie et du lieu de travail. Bien qu'il y ait dans le domaine des queer studies quelques travaux sur ce sujet, l'hétérosexualité comme norme sociale n'est la plupart du temps pas marquée, de telle façon que les pratiques sociales qui sont reliées à l'hétérosexualité ne sont pas visibles en tant que telles.


l'hétérosexualité est productive

Le "travail sexuel" englobe tout le travail qui oblige une personne à se positionner dans l'ordre hétérosexuel. Cet ordre hétérosexuel signifie pour une femme, dans cette société, avoir potentiellement une relation sexuelle avec un homme, ou alors, comme dans beaucoup de cas avoir une relation sociale avec un homme (p. ex. un patron, des collègues, des clients, etc.). Nous ne pensons pas que ce "travail sexuel" est une nouveauté. Nous pensons qu'il a en fait toujours été accompli, mais qu'il prend en ce moment-ci une plus grande signification, parce qu'il y a une augmentation du nombre de professions qui exigent des capacités et des émotions qui sont attribuées aux domaines de la subjectivité et du personnel dans le secteur croissant de l'industrie des services. Parmi ces professions on peut citer toutes celles qui touchent le domaine des services personnels, les professions que l'on dit créatives (qui nous concernent), et les professions qui impliquent une grande part de communication. On pourrait dire que les produits qui y sont fabriqués sont des dispositions psychiques.

Dans son texte "Body Work" Linda Mc Dowell fait une enquête sur le milieu des banques de commerce. Elle y examine la discipline de travail qui intervient au niveau du corps. A ce propos, elle a une vision élargie de ce qu'est le corps: pour elle le corps englobe aussi l'apparence personelle, l'habillement. En prenant l'exemple du contact avec les clients, elle décrit que le conformisme des employés aux normes hétérosexuelles est aussi une partie du service qui est vendu. Les employées sont considérées comme des personnes, qui potentiellement pourraient avoir une relation sexuelle avec leur collègues masculins, ou leurs clients, et qui expriment cette potentialité dans leur langage, leur comportement et leur apparence. Ici nous ne comprenons pas "sexualité" comme une sphère de "liberté", que des agressions sexistes empiéteraient (ce qui cela va de soi existe aussi), mais comme une machine de communication dans ce cas de normes hétérosexuelles. Ces normes hétérosexuelles sont directement productives, et dans deux sens: d'une part l'hétérosexualité produit directement des profits - p. ex. à travers un flirt avec un client qui facilite une vente. D'autre part l'hétérosexualité est aussi vendue par les employé(e)s comme un produit idéologique: les employées ne font pas que de se conformer elles-mêmes aux normes hétérosexuelles et féminines, ces normes sont aussi communiquées aux collègues et aux clients.
Mc Dowell fait une différence entre la vente dans le secteur des services standardisés, Mc Donalds par exemple, qui correspond à la fabrication d'un produit de masse fordiste, et la vente dans une banque de commerce, plus en rapport avec un produit de niche économique postfordiste. Le but est de donner au client le sentiment qu'il reçoit un service spécialisé, taillé exactement sur ses désirs personnels. La vendeuse de service est donc à la fois marchandise et force de travail. Ce service, ou ce produit, consiste à la fois en savoir et en sentiments. Il est vendu contre un salaire, il a donc un caractère de valeur d'échange. Malgré cela, cet échange se laisse difficilement formaliser. Bien que l'investissement personnel est attendu dans le domaine des service, il n'est pas forcément rémunéré.

La mise à profit de cette force de travail va assez loin parce qu'elle fait appel au domaine du soi, du personnel. C'est un domaine dont les personnes ont une haute estime dans le capitalisme parce qu'il est considéré comme un composant de l'individualité, ancré profondément dans la personnalité. On peut dire que le fait de s'adresser à l'identité sexuelle encourage les employées à s'identifier à une logique plutôt privée que spécifique aux classes. Par exemple: Si on se sent mal au travail, l'explication qu'on se donnera sera plutôt une propre insuffisance que l'insoutenabilité des exigences. Dans ces conditions, il n'est pas facile d'organiser une résistance contre de telles conditions de travail, par exemple sous la forme d'une grève ou la proclamation de revendications. Quand je fais un travail à la chaîne, je peux me décider de faire les choses plus lentement. Au bureau, je peux allonger ma pause café. Ces petites formes de refus du travail demandent beaucoup d'efforts, à partir du moment où on s'adresse à moi en tant que personne dans une situation de travail. Il m'est par exemple plus difficile de prétendre ne pas savoir faire quelque chose, quand ça signifie automatiquement une dévalorisation de ma propre personnalité.
Dans la perspective de l'entreprise, le travail sexuel est autant efficace et autant demandé, parce qu'il apparaît si personnel: ces relations, qui sont basées sur un principe salarial, doivent paraître non rétribuées et libres. C'est alors qu'on dissimule cette relation entre le "privé" et le "publique", qu'elle devient particulièrement efficace et précieuse.
travail sexuel

Avec la notion de "travail sexuel", nous voulons examiner les conditions de l'hétérosexualité, non pas seulement comme répressives ou contraignantes, mais aussi sous la perspective du désir: les relations hétérosexuelles sont aussi dans certains cas voulues, et les personnes accomplissent du travail sexuel également sans être forcées de le faire.
Arlie Russell Hochschild nous a donné l'exemple de Nancy Holt, une féministe, aussi dans le cadre de son livre "the managed heart". Dans son mariage, elle n'a pas réussi à imposer le partage du ménage avec son mari. Parce qu'elle tenait à son mariage, mais ne voulait pas renoncer à ses convictions politiques, elle a produit après plusieurs disputes ce que Hochschild a appelé un "mythe pour éviter les énervements": Elle nettoyait tout en haut, et son mari tout en bas. En haut signifiait le salon, la salle à manger, deux chambres à coucher, la cuisine et deux salles de bain, c'est-à-dire toute la maison, alors qu'en bas signifiait le garage, le débarras et la pièce des hobbies - les hobbies du mari.
C'est un exemple qu'on ne peut pas comprendre si on ne tient pas compte des différents désirs de Nancy Holt: d'une part le désir de l'égalité des droits pour les femmes, d'autre part le grand désir d'une relation hétérosexuelle plus ou moins harmonieuse. Ces désirs peuvent tout aussi être vécus comme une contrainte et comme une force sociale, ils peuvent être compris comme un pouvoir, qui guide le comportement de certaines personnes dans certaines voies, p. ex. dans une relation de couple un peu contraignante ou bien dans un travail organisé d'une manière hiérarchique.

D'autre part, notre préoccupation avec l'institution "hétérosexualité" a pour but de décrire l'ordre social sexuel auquel les femmes sont confrontées. Cette confrontation a aussi lieu si on a pas forcément de contacts avec un homme ou si on n'est même pas hétérosexuelle (un exemple simple est que les gays et lesbiennes, même s'ils sont out au travail, doivent toujours refaire leur coming-out, parce que chaque nouvelle personne les présupposent hétérosexuels).
La psychologue Celia Kitzinger raconte l'exemple d'une employée lesbienne déclarée. Malgré cela, sur son lieu de travail, elle doit exercer ce qu'on pourrait appeler un "soigneux management d'hétérosexualité". Ses collègues considèrent son apparence plutôt garçonne, alors que son amie a plutôt un genre féminin. Elle doit constamment se confronter à des remarques stéréotypiques de ses collègues, qui aimeraient reconnaître dans leur relation une répartition claire entre un rôle masculin et un rôle féminin. Cela montre que l'hétérosexualité est aussi établie là où elle n'est pas du tout pratiquée. Pour se défendre contre cette imputation limitante, cette employée invente souvent des histoires inverses, comme par exemple que sa copine a réparé la voiture pendant le week-end, alors qu'elle a fait le ménage. C'est une peine qu'on pourrait aussi appeler travail sexuel.

diversification de la féminité / de l'hétérosexualité

Lorsqu' on passe en revue les différents exemples, on pourrait prétendre qu'il y a une diversification dans la demande de féminité et d'hétérosexualité et de leur différentes formes. Sans vouloir simplement positiver ce processus, se pose la question suivante: est-ce que cela ne signifie pas pour les femmes une plus grande possibilité de quitter certains rôles?
Les sociologues Witz, Halford et Savage ont rassemblé des réponses parmi des employées de banques très haut placés dans lesquelles les managers masculins ont déclaré ne pas faire de différence avec leur collègues féminines. Dans l'habillement et le comportement, ces femmes répondaient aux normes attendues de masculinité. A un repas d'affaires selon la perspective d'une employée, les événements se sont cependant déroulés autrement: "il y avait 5 tables à chacune desquelles était assise seulement une femme. On est déjà comme ça très voyante. J'ai essayé d'en tirer un avantage. Étant donné que je savais, que tous les hommes que je connais seraient habillées en noir ou en gris, j'ai mis une robe rouge. De cette façon, en effet, j'étais très voyante et à la fin l'homme qui venait de faire une conférence est venu vers moi et a parlé avec moi... Ca fait partie du jeu, si on le joue." Une interprétation pourrait être que la féminité de cette employée a finit par la rattraper. Mais, on pourrait aussi déboucher sur une autre perpective de l'anecdote: cette personne rusée, qui fait habituellement performance de masculinité, s'est réapproprié les normes de féminité, comme une drag queen, pour en tirer pour elle une situation avantageuse.

En plus d'une tentative de déstabilisation stratégique des catégories définies de ce qui est économie et ce qui est externe à elle, de ces dichotomies entre p. ex. la maison et la place de travail, nous voudrions terminer avec une question ouverte, que cet exemple nous pose: la question des marges qu'une personne peut prendre dans une situation de travail qui implique aussi intensément sa personnalité, sa subjectivité: est-ce que la description de cette personne comme drag-queen lui offre à elle, dans sa propre perception, une compréhension possible du soi? Qu'est-ce que ça pourrait avoir comme signification, quand on commence à réfléchir aux possibilités de résistance contre les conditions de travail fortement subjectivisées?


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