homeutilityinformationviewprojectrecordtext
back to public projects

back to Et n'est-ce &/et

problématiser 3
par opposition au thématiser

Georges Charbonnier
Entretiens avec
Marcel Duchamp

Cet entretien a été enregistré par la Radio-diffusion Télévision française le 6 décembre 1960, diffusé le 9 décembre 1960.

© INA 1961

note:

1. Paul Durand-Ruel est, depuis 1871, le marchand de tableaux des impressionistes, de Monet particulièrement. Feder, banquier français, lui ayant prêté de grosses sommes vers 1878 et sa banque, l'Union Générale, ayant fait faillite en 1882, Durand-Ruel sera sauvé par Havemeyer, banquier américain, à partir de 1886.
André Gervais

L'artiste moderne est le produit d'une série de révolutions dans le mode de production et dans les moyens de communication, où le marché de l'art a joué un rôle éminemment révolutionnaire.
Car ce même marché ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, donc les rapports de production artistiques, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux.

Ce bouleversement continuel de la production, cet ébranlement ininterrompu de tout le système social, cette agitation et cette perpétuelle insécurité distinguent notre époque du marché de l'art de toutes les autres, et nous forcent à jeter un regard lucide sur nos conditions d'existence et nos rapports réciproques.

Poussé par le besoin de débouchés nouveaux, le marché de l'art a envahi la planète entière, a établi partout des relations.
Cette exploitation a donné au marché de l'art un caractère cosmopolite, et au grand désespoir des réactionnaires, a ôté la base nationale à cette problématique et, au risque de contredire "l'exception française", a créé une interdépendance généralisée dans la production de l'art d'aujourd'hui. Des puissances que le marché de l'art lui-même ne sait plus maîtriser.
Il suffit d'évoquer les crises commerciales qui, par leur périodicité, menacent de plus en plus le marché même de l'art.

Prédominance de l'offre sur la demande. Trop d'art. Trop d'artistes. Une surproduction. Le surplus de l'art.
Le marché de l'art est devenu trop étroit pour contenir toutes les richesses qu'il a lui-même suscitées et créées.

Comment le marché surmonte-t-il ces crises?
En détruisant une partie de ses forces productives; conquérant des nouveaux espaces de marché; en exploitant à fond les anciens.

Quels en sont les effets?
Des crises de plus en plus générales et de plus en plus puissantes, diminuant les moyens de les éviter.

Le marché a développé la création des artistes, a créé des artistes devenus une marchandise, contraints de se vendre; un article de commerce, un de ses accessoires, se trouvant ainsi exposés à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché.
Le travail des artistes a perdu tout attrait avec l'apparition du marché de l'art, de la division du travail, des rôles, dans cette activité.
L'artiste est devenu donc un simple accessoire. On n'exige de lui que les opérations les plus simples, les plus monotones, les plus vite apprises.
Par conséquent le coût de l'artiste se limite, à peu près, à ce qui lui faut pour vivre, pour ne pas dire pour survivre.
Par contre, le prix de chaque oeuvre est rigoureusement égal au prix de sa production dans son ensemble.
Ce despotisme nous apparaît d'autant plus mesquin, odieux, exaspérant, qu'il proclame ouvertement le profit comme son but ultime.
Mais le même marché de l'art a, je dois dire j'en suis heureux, dépouillé l'artiste de tout caractère national.
Car le marché de l'art n'est pas une puissance personnelle, ou nationale; c'est une puissance sociale.

Et n'est-ce &/et
Paris, févrir 1997.

© Et n'est-ce &/et, 1997


back